vendredi 16 avril 2010

Vernissage de l'exposition de Francis Besson: Itinéraires

Je ne suis pas partie vers l'itinéraire d'un enfant gâté mais bel et bien à la rencontre d'un homme dont les photographies marquent les esprits. Des photos en argentique noir et blanc et vingt mille lieux sur la terre, Jules Verne adepte des profondeurs aquatiques en aurait fait tout autant...Quelle splendeur! La nature à l'état brute passant du Connemara au Japon et m'arrêtant nette sur le deuxième Frissonnement ou sans le vouloir mes poils se sont hérissés comme à l'écoute d'une douce mélodie sortie des flots. Les sirènes me chantaient sa louange, les roseaux s'inclinant par respect frissonnaient au vent. Je m'agrippe à ces fils bien réels comme à la vie, ondule et trace mon chemin, vers une destinée que j'entreprends seule. (Frissonnement II)

Le Connemara et ses herbes sauvages couchées ayant un peu trop chatouillé le ciel devenu tourmenté. Les rochers imperturbables se soucient peu de l'érosion et de la pollution...( Connemara III, 2008, 64,7 x 80,7 cm)



Deux rochers comme des mamelles laissent entrevoir un décolleté des plus érotiques, une vision en profondeur, un ciel moutonné et un soleil feutré comme une caresse d'été... (Connemara IV, 2003, 64,7 x 80,7 cm)




Deux chaises font les paons, sur le pant d'une benne pour recycler les choses, dans un paysage désertique ou herbes folles poussent comme sur le crâne d'un chauve, épargnées par la mise au "casse pipe", elles offrent une assise aux passants en mal de souffle. La vue sur quatre animaux ruminants broutant et un porteau électrique nous rappelle la présence humaine... (60° North, 2004, 80 x 100 cm)




Des arbres, des arbres et encore des arbres, une jungle clairesemée se reflétant dans l'eau des marres comme Narcisse accroupi admire le reflet de son visage en mal de ne plus aimer ou être aimé...On pourrait entendre encore les échos d'Echo...(Japon, sous-bois IV, 2008, 64,7 x 80,7 cm)





Les bras accueillants d'un arbre probablement centenaire souhaiteraient vous embrasser et vous titiller de ses branchages majestueux... (Ginzo, 2008, 47 x 122 cm)


Un triptyque d'un bonzaï diabolisé tant sa grandeur impose. Son tronc craquelé, ridé, feuilleté nous rappelle son âge, c'est d'ailleurs pour cela que par respect, il se retrouve au centre. Il protège de son bras droit ses enfants congénères et de son bras gauche sa fine femme qui s'appuie légèrement sur lui.(Triptyque Japon, 2005-08, 122 x 141 cm)




Je remercie Francis Besson pour son oeuvre et même si le côté poétique m'aveugle, je n'en oublie pas le respect de la nature, la pollution grandissante qui nous ronge, les paysages se déformant par la main humaine.

Chloannie 16.04.10

mardi 30 mars 2010

Lettre ouverte à Patrice Nanga

Cher Patrice,

C'est à travers les terres arides africaines que je commence mon voyage initiatique avec toi, enveloppée dans des couleurs vives et vivantes, je me sens bien, moi qui suis une fervente amoureuse du noir et blanc, je me surprends. J'ouvre mes yeux pétillants sur tout ce que tu me présentes: les animaux, la nature, les autochtones.













Je ressens aussi le braconnage, la guerre, la souffrance et les rêves d'une jeune fille noire empruntant les ailes de son papillon multicolore afin d'échapper pour quelques instants à la réalité du monde.











Je continue mon voyage dans les profondeurs abyssales, le bleu, toujours le bleu, "the big blue" avec quelques touches de jaune anémone et de rouge poisson.




Je remonte à la surface de l'eau et admire le ciel rouge de Venise ou les amoureux se tiennent par la taille et se laissent bercer par les gondoles. Cupidon a bien fait son travail en bandant son arc et lançant ses flèches éprises du ciel bleu pour que lui-même lui restitue la couleur rouge de son amour en cadeau.




J'aime l'homme discret parisien comme une ombre qui garde ses yeux et sa bouche ouverte sur les magnificences de sa ville lumière proche de sa pyramide du Louvre, proche du Savoir. Le bleu du ciel tourmenté se marie à merveille avec le rouge amour des gens qui y habitent.




Je finirai mon voyage par le tourbillon de couleurs sombres, m'amenant gentiment mais surement au bleu des cieux avec en son centre la chaleur des rayons du soleil, un tunnel protecteur guidant vers la liberté de l'esprit, son ouverture vers le monde "Inside" & "Mindness".
Merci de m'avoir ouvert les paupières sur tant de couleurs, je te félicite du fond du coeur. Ces oeuvres sont de véritables bijoux. Je caresse encore tes toiles pour en apprécier toute leur énergie avant de te les restituer.
Tu as du talent mon Cher Patrice, à genoux je m'incline et te baise la main.


Chloannie
30.3.10







Patrice Nanga est né sur les bords du lac de Constance, de père camerounais et de mère suisse. Après des séjours en France, au Cameroune, il revient s'installer sur les bords d'un autre lac, le lac Léman. Suivent des études de marketing et de publicité, il travaille la peinture et le dessin et lance plusieurs concepts, une sorte de recherche perpétuelle, comme un appel, une curiosité intérieure qui le mène vers divers horizons avec toutefois toujours la même synergie: notre position face au monde qui nous entoure. C'est ainsi que ces autoportraits représentent des figures libres de toutes tutelles, comme une vision alternée du monde qui l'entoure. Ses collages nous emmènent dans un monde onirique ou les souvenirs s'accumulent, se fondent et se dissolvent pour se transformer, avec ce même leitmotiv: que faisons nous des images que nous avalons chaque jour? Comment les recyclons-nous dans notre subconscient? Ses tableaux de techniques mixtes nous rappellent aussi la société de consommation dans laquelle nous vivons ou l'image devient le centre de notre existence. Et la question lancinante revient comme un boomerang: Etre ou ne pas être? Etre l'image ou ne pas l'être? Dans cette quête au fil des tableaux, des images, des couleurs, et des installations une réponse se dessine doucement: L'important n'est pas le but mais le chemin pour atteindre ce but.
Devient:
L'important n'est pas l'être (l'image) mais le chemin que celui-ci accomplit pour le devenir (la vie)
Patrice Nanga

smoothside28@hotmail.com

dimanche 14 mars 2010

Henriette Grindat: "...c'est sa façon de l'aimer..."

Chose promise, chose due....En suivant inconsciemment les traces de mon Ange Gabriel, je me retrouve une semaine plus tard, de nouveau, au Musée historique de Lausanne, après avoir bu un bon chocolat chaud, déjà amplement sucré, à L'Evêché derrière une fenêtre loupe ou les rayons du soleil traversants m'aveuglent et me réchauffent tendrement le visage.

Comme un bonjour de bienvenu, le gardien du temps de poche de Gabriel de Rumine se tenait droit comme un "i" suspendu dans le temps, dans une vitrine blanche à gauche des premières marches de l'escalier à la moquette bleue moelleuse. Sur son fond, les intiales de Gabriel, travaillées et gravées en relief, font briller mes yeux ainsi que de sa chaîne en vermeil dont le sceau me ravit....Je lis sur son cadran en émail: César Vacheron & Cie, Genève. Ce gardien du temps acquis en janvier 2010 grâce à la générosité de M. F. Paulsen, Consul honoraire de la Fédération de Russie à Lausanne a trouvé sa véritable place.










Je grimpe désormais les deux étages pour accéder enfin à cette vaste salle ou les photos en noir et blanc d'Henriette Grindat m'attendent. Lausannoise et photographe ayant vécu à Paris, je ne pouvais me faire l'offense de ne pas l'admirer. Je m'attarde de nouveau sur la photographie numéro quatre de l'ombre d'une main tenant en son creux une sphère de cristal. Je découvre enfin son titre: "Je deviens bulle de savon". Ainsi, légère comme cette dernière, je vole d'oeuvre en oeuvre, de mes yeux curieux, j'emplis mon coeur et mon corps meurtri de toute l'énergie positive qui s'en dégage. Je vole entre les fils ou des masques sans vie attendent désespéremment des yeux humains pour vivre enfin. Sur un billot de verre un couple de têtes de poissons aspire au dernier baiser, leurs yeux encore tout écarquillés ("Au miroir tachés des vitrines l'air fauve du suicide").


Puis les deux couples d'amoureux sur la plage immaculée de sable fin blanc; l'un couché se serrant tendrement regardant les beautés du ciel, l'autre assis se chargeant uniquement de l'étreinte de leur amour. Quel doux moment, mon coeur se remplit de chaleur. Quatre personnes s'aimant infiniment (Peniscola 1961)....














Le regard pénétrant d'une vieille dame transperce mon âme. Je lis la crainte, l'imploration, je vois ses lèvres pincées et les rides de son front, je ne sais ce qui la tourmente mais j'aurais aimé le découvrir (Elche 1962)....













Un chat noir errant dans la rue désolée d'Ibiza déambule de maison en maison cherchant âme qui vive et nourriture (Ibiza 1960) alors que deux photos plus loin un festin d'harengs luisant comme un tournesol, dans un tonneau de bois irradie de ses rayons nos yeux gourmands (Ibiza 1956)



Dans la deuxième salle une Venise qui souffre (Venise 1954-1957), la désolation de ses murs, l'eau croupie de ses rues, ses gondoles vides et le théâtre de la Fenice avec ses lustres aux pampilles de crital avant le feu de joie et sa restauration.



L'Isle sur la Sorges (1950): deux arbres penchés ayant essuyé tous les caprices du temps, se tiennent encore debouts par leur volonté de vivre, avant tout. Jean de la Fontaine les assimilerait au roseau....Bravo!


Algérie (1952): des vagues de sable formant le désert ainsi que des vagues de nuages blancs se reflétant dans la mer, déferlent sur la plage de mon esprit.


Egypte et Nil 1958-1959 avec l'aridité de ses sols offrant ses béantes fissures au monde comme un cadeau divin, un squelette dont la peau asséchée est venu se coller harmonieusement aux os, un rappel de ce qui nous attend inévitablement....



René Char et Albert Camus ne sont, eux aussi, pas sortis indemnes de ces clichés, d'ailleurs je me permets cette petite phrase: "Cher Albert, tu n'étais finalement pas étranger...."





Chloannie 13.03.10


lundi 8 mars 2010

"Autant aimer autant" le Musée historique de Lausanne

N'ayant plus que la peau sur les os, j'ai tout de même sorti mon museau par ce froid sibérien pour aller visiter au Musée historique de Lausanne l'exposition de photos en noir et blanc d'Henriette Grindat. Quelques flocons de neige ont tracé mon chemin vers la place empruntée "74" d'un parking à l'arrière de la cathédrale de notre chère Cité. Ces étoiles éparses venues du ciel gris souris m'accompagnent jusqu'aux portes vitrées de l'entrée du Musée. Pendant l'accueil chaleureux d'une femme à l'accent légèrement britannique, je me décoiffe de ma chapka en lapin et ouvre ma veste de poils. Nous échangeons quelques mots et me déplace en frôlant de mes pieds la moquette bleue, moelleuse, des quatre premières marches de l'escalier quand on me stoppe nette. Je ne peux visiter l'exposition; se donne actuellement une rencontre-débat menée par Laurent Golay (directeur du Musée) sur la dite artiste et son oeuvre. Chagrinée, je rebrousse chemin et me faufile sur ma gauche pour visiter le Musée historique. Je commence par la première vitrine proposée sur ma gauche aussi, retraçant la naissance de notre assurance incendie. Je souris. J'admire l'ancienne calculatrice. Que de chemins parcourus depuis cette époque....




Georges Bridel caché dans le coin droit d'une autre vitrine attire mon attention. Imprimeur de son état, patron, patriarche, paternel. Un trois "P" parfait, dont l'adjectif à peine écrit vient élaborer le quatrième "P". Ses ouvriers et ouvrières peuvent encore à travers le temps être fiers d'avoir travaillé pour cet homme juste et bon.







Je passe en revue les articles du Bazar Vaudois, et je revois Zola en train de rédiger "Au bonheur des dames": les étalages de dentelles, les porte-monnaie nacrés coquillages, les hauts de forme noirs et l'argenterie rutilante.

















Puis Manuel Frère café (maison fondée en 1845) dont la promotion m'aimante, je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec Mariage frère (maison fondée en 1854) dont la saveur des thés me transporte et me fait voyager depuis des années, surtout l'Earl Grey impérial....











Je cligne mes paupières en guise de bonjour à Adrian Constant de Rebecque, un des premiers photographes amateurs que j'avais déjà eu l'occasion de croiser à l'Elysée.











La roue du temps s'arrête pour moi quelques instants. L'araignée prend sa place dans mon imagination et me rappelle la photo de Byan Wong, la tour Eiffel et ses pattes arachnéennes. Je suis touchée aussi par les quelques mots d'Alfred de Bougy, littérateur et bibliothécaire français ayant vécu à Lausanne avant l'année 1840, que je me permets de retranscrire "Je ne décrirai point cette cité escarpée, montueuse, mal pavée, presque inaccessible aux voitures, mais à laquelle la bizarrerie même de son assiette , le hérissement de ses flèches élancées et de son clocher...donnent une physionomie des plus pittoresques" Le tour du Léman 1846. Lausanne reste encore, même à notre époque une magnifique ville escalier, avec ses descentes et ses montées incessantes. De quoi nourrir l'exercice physique et nos battements cardiaques....Il faut une certaine endurance et une endurance certaine pour y vivre et l'apprécier comme je l'apprécie.










Je suis d'origine argovienne, née à Zofingen, donc zofingienne de pure souche, je ne pouvais passer à côté du fondateur de la société d'étudiants "Belles-Lettres" Charles Monnard, professeur à l'académie enseignant la littérature dès 1817. Vade Retro chère chair de Sapins Verts! Mais je m'incline tout de même respecteusement vous saluant.





















Une pause s'impose bien que les chants des sirènes des proues de bateaux me retiennent. Je vois dans le miroir de la glace les rayons du soleil qui m'interpellent. Je me détache des liens du mât et tel Ulysse je marche pour une nouvelle quête.





















Je me pare de nouveau de ma chapka et referme mon blouson de poils pour admirer, bouche bée, les jardins du Musée. Une pure beauté! Les rayons solaires caressent mon visage emmitouflé. Je prends le temps de me reposer et de me ressourcer. La nature a cela de bon en elle; elle le transmet volontiers à qui veut bien en user.






















Je reprends ma visite par la salle de musique. Un demi-queue m'accueille en ses bras dans cette salle intime aux poutres de bois brunes. Mon coeur se serre. Je dois m'assoir, des vertiges, un trop plein d'émotions me remplit, j'entends de nouveau Chopin et ses Nocturnes, Beethoven et sa Lettre pour Elise, Debussy et son clair de lune....Je finis ma visite par le plan Buttet (1638), le plus ancien plan visuel de la ville de Lausanne, dessiné à la plume sur papier et coloré à la gouache par David Buttet lui-même. Sa signature m'emplit de bonheur. En son ventre le "D" porte les deux mamelons du "B", l'un dans l'autre, ils ne forment plus qu'un....





















Il est temps désormais d'aller admirer ce que j'étais venue voir en lieu premier. Je frôle de nouveau la moquette bleue moelleuse des escaliers, et grimpe les deux étages pour arriver dans une grande salle ou photos en noir et blanc d'Henriette Grindat m'attendent. J'ai à peine le temps de me focaliser sur la photo numéro quatre de l'ombre d'une main à quatre doigts embrassant en son creux une boule transparente de cristal, que l'on me prie gentiment de regagner les portes de la sortie. Je regarde tristement mon gardien du temps qui m'indique effectivement les 17 heures. Je m'en retourne avec la volonté de revenir la semaine prochaine. Juste un au revoir pas un adieu....

6.03.10
Chloannie

lundi 1 mars 2010

Espace Arlaud

Chopin dont on fête le bicentenaire de sa naissance cette année, mon plus talentueux compositeur de musique romantique, me berce de ses nocturnes mineures mélancoliques jusqu'à la place Riponne. De là, je contemple le Palais de Rumine. Gabriel, comme l'ange, à sa mort légua une partie de sa fortune pour que l'on édifie une bâtisse renaissance florentine, protégeant dans ses bras l'université de Lausanne, son Savoir par les livres ainsi que des collections scientifiques et artistiques. Deux Sphinx, lions ailés disposés sur deux colonnes gardent les portes du Palais comme deux cerbères.




Je sens les origines russes de Gabriel de Rumine me pousser sur ma droite pour rejoindre l'ancienne école de dessins, école des beaux Arts devenue Espace Arlaud en hommage au peintre mécène. S'y donne actuellement l'exposition du photographe russe Vladimir Mishukov " Le culte de la famille".










Je franchis la fameuse porte aux poignets tête de lion et m'introduis dans le hall en pierre froide.






Règne un silence religieux.



Je commence par la gauche respectant la politique du pays exposé. Une grande salle, des spots sur rail au plafond, accueille en ses murs nombre de photos en noir et blanc de familles russes habitant à Moscou ou dans sa périphérie. Les familles sont étiquetées selon leurs corps de métiers. Intéressant de constater que plus ces dernières sont aisées plus on voit de cuisines équipées et plus les bouches se décrispent. Je scrute tour à tour les portraits immortalisés, quelle tristesse parfois. Mon coeur se serre. Rares sont les sourires, une sorte de rigidité buccale propre à ce pays. Les intérieurs se suivent mais ne se ressemblent pas, se mêlent tour à tour le sérieux du mobilier du corps policier, le High Tech du financier d'une boîte privée, le foutoir du menuisier, l'exiguïté de la pièce du chauffeur de bus, la précarité du plombier, le savoir lettré du psychologue, la bobo attitude du chirurgien. Chaque famille compte en moyenne trois enfants. Un taux de natalité impressionnant. Fait-il si froid l'hiver que l'on reste sous la couette pour pérenner les futures retraites?




Je grimpe les escaliers en pierre usées par les étudiants et cette fois-ci je décide de pénétrer par la droite de mon âme et conscience, dans la deuxième grande salle. Toujours aux murs ces photographies de visages parfois patibulaires et tristes, parfois malicieux et heureux dans les yeux. Je suis attirée par une photo peu orthodoxe: un directeur marketing dans la communication, chauve, dans le salon de son loft s'adonnant à l'hindouisme. J'esquisse un petit sourire. Puis un chat tricolore se fondant dans la tapisserie d'un fauteuil, que l'on distingue à peine. Les vieilles demeures russes gardent leurs interrupteurs à hauteur d'homme alors que les nouvelles se voient parées des artifices européens. Des pieds, des pieds partout, des pieds nus câlins, des pieds chauds chaussettes, des pieds protégés chaussons, des pieds élégants chaussures du dimanche. La troisième salle comme un couloir m'amène dans la quatrième.










Je prends le temps de m'assoir, à bout de force. J'admire le parquet en bois brute rénové avec ses multiples croix. Le silence me transperse. Je refais le monde dans ma tête. La douleur me sied si bien que j'essaye d'en faire mon alliée. Elle me donne l'occasion de m'arrêter sur les choses les plus simples, d'en apprécier toutes les valeurs et m'offre une étrange sérénité.






Le gardien vient me déloger, déjà 17 heures comme le temps passe vite. Je me lève et délaisse les visages de la Russie contemporaine éclairés par les spots en rejoignant de nouveau Chopin et ses nocturnes....











Chloannie
27.02.10





































L'Elysée




Je la revois à travers ses souvenirs, dans une robe de taffetas noire et blanche à l'aube de ses 16 ans pour le bal des débutantes du gratin lausannois. Un manteau noir l'enveloppe alors qu'elle aurait aimé une étole sur ses épaules. Un magnifique chignon tord ses cheveux noirs et dégage sa nuque pour mourir sur deux bretelles fines. Elle monte les six marches en pierre polies de la maison de maître pour accéder à la grande salle dont le parquet craque sous ses pieds. Ancienne maison paroissiale puis demeure d'Henri de Mollins, Madame de Staël, William Haldimand, Victor de Constant, elle contemple les moulures légèrement fissurées du plafond et les lustres aux pampilles de cristal.

Elle revient avec moi, main dans la main des années plus tard aux portes de cette même demeure, devenue musée de l'Elysée, musée pour la photographie. Nous volons à la rencontre de Gerhard Steidl, l'éditeur et l'imprimeur le plus prisé du monde artistique. Un génie de la couverture, du choix du papier, de la typographie, de l'impression et de la photographie. Des livres placardés aux murs des plus prestigieux photographes, auteurs, passant de David Lynch, à Jim Dine, Paul Graham, Günter Grass, Robert Frank, Jeff Wall et Karl Lagerfeld, viennent décorer les parois blanches de la première salle.
Sur notre gauche une pile de quatre mètres de livres édités Steidl se reflète dans un miroir à même le sol. Nous rentrons dans la deuxième salle ou des cubes design accueillent dans leurs bras la progéniture des maîtres: l'alliance de l'auteur avec son éditeur. Une parfaite symbiose, une pensée unique pour un résultat magique. A ce instant précis, mon coeur s'arrête de battre, je contemple les quatre volumes 1,2,3,4 de Jim Dine: the Photographs, 50 Far. Silence....Une larme.


Je m'engouffre dans la troisième salle pour gouter aux joies de la mode, de la politique et des colis reçus, Chanel et son tiroir se mêlent au militant gauchiste qu'était Steidl, à la Converse devenue support de lettre par sa languette, d'un ami écrivain. La quatrième salle nous offre quelques jours minutés de la vie de Steidl, ses impératifs, ses idées, sa façon de procéder, des tonnes de clichés crachés d'un appareil jetable déroulé sur un support blanc en papier ainsi que les menus de son cuisinier. Quelques photos en noir et blanc de son atelier, ses collaborateurs, travailleurs forcenés, des toits de la ville de Göttingen, son cuisinier une casserole sur la tête en guise de couvre chef ornent le mur de derrière. La cinquième salle se trouve dans les combles mais nous descendons dans la cave pour continuer notre visite de la sixième salle. Des bruits sourds de machines d'imprimerie ainsi que des effluves d'encre et de colle agressent oreilles et nez. Ce sont pourtant les poumons et les battements cardiaques de Steidl. Sur une table centrale jonchent des esquisses, des maquettes. En cadeau un poster signé Karl Lagerfeld que je roule et place sous mon bras. Puis l'ascension des escaliers, essouflées pour arriver au comble, empoigner, toucher, sentir, voir, admirer tous ces livres mis à notre disposition. Je les porte à ma poitrine, j'en ressens toute la magie et surtout toutes les heures de travail accomplies. Je regarde une dernière fois le plafond aux mille poutres de cette maison de maître et nous nous en retournons l'âme satisfaite.



Un dernier détour par les jardins ou une vue imprenable sur le lac Léman nous attend. Les allées de graviers guident nos pas à travers buissons boules sculptés et nous apprécions ces instants de quiétude, des images plein les yeux.
La belle de 16 ans repart avec son prince charmant, et moi de prendre la belle par la main lui ouvrant le chemin.



Chloannie/ 20.02.2010